Que vous soyez plutôt blanc ou aux fruits, ferme ou brassé, si vous les réalisez par vous-même plutôt que de les acheter, cet article pourrait vous fournir des informations concernant la réparation et l’entretien d’une yaourtière électrique de première génération.
Vous y trouverez également un paragraphe concernant les bases de microbiologie de la fermentation. Personnellement je n’ai pas de connaissances dans cette matière. Il a fallu que je me forme un tout petit peu pour que je comprenne la conception de la carte. Si un lecteur devait lire ce paragraphe, comme les autres par ailleurs, une revue serait la bienvenue.
Cette réparation a eu lieu lors d’un des rendez-vous du collectif de réparation rezéen pendant lequel je disposais à la fois d’un temps limité et seulement d’un multimètre pour effectuer des mesures élémentaires. Cela prouve encore une fois que souvent, surtout sur des appareils anciens, un multimètre est bien le seul instrument dont nous avons besoin.
Je tiens à remercier tout particulièrement mon cher collègue Philippe car ses contributions constructives me permettent de progresser dans l’apprentissage de la langue française ainsi que d’améliorer la qualité de mes articles.
Bonne lecture !
Diagnostic
Monique, la propriétaire, relate un problème d’absence de chaleur. La yaourtière ne chauffe pas. Malgré son ancienneté, elle l’a achetée à la fin des années 70, la yaourtière est dans un état impeccable. Elle dispose même du guide d’utilisation avec des explications très intéressantes sur le procédé de fabrication du yahourt.
Au-dessous de l’appareil un marquage à chaud fournit des informations d’identification de l’appareil: Moulinex 508.
Une première recherche ne nous permet pas d’en savoir davantage. La seule information que je trouve est qu’elle a été fabriquée dès 1975.
Il ne me reste plus qu’à l’ouvrir. Pour cela, 4 simples vis cruciformes sont suffisantes. Il n’y a pas de clips qui pourraient casser. En une minute on peut accéder aux éléments intérieurs visibles dans la photo ci-dessous :
L’électronique tient entièrement sur une seule carte.
J’ai isolé avec des rectangles de couleurs différentes les éléments qui me semblaient importants.
- Les deux câbles qui arrivent depuis la prise secteur (rectangle jaune) se divisent : le bleu va alimenter la carte et le marron part vert l’interrupteur (rectangle blanc).
- Depuis l’interrupteur sortent deux câbles marrons, un qui part alimenter la carte de contrôle et l’autre vers un interrupteur thermique (rectangle vert) dit klixon.
- Un condensateur axial à films polypropylène (de couleur verte), de 0.68 uF 250 V
- Un condensateur axial électrolytique (de couleur or), de 100 uF 25 V
- Deux diodes (rectangles gris).
- Un circuit intégré (rectangle rouge), TMS3513NS, qui devrait être un microcontrôleur.
- Un thermofusible (rectangle violet).
- Un TRIAC TIC206 (rectangle bleu).
- Les résistances sont au nombre de 5.
- Le fil chauffant effectue un va-et-vient sur une plaque en aluminium qui repartit la chaleur d’une manière uniforme. Le fil est enrobé par une gaine en silice haute température.
- Une extrémité du fil chauffant est reliée au klixon, l’autre à la carte par le thermofusible.
Ci-dessous le recto de la carte. Les pistes semblent avoir été dessinées manuellement. La qualité de la réalisation laisse à désirer.
J’aurais tendance à affirmer que le PCB est routé sur un seul niveau. Il y a un détail qui attire mon attention et qui me fait douter. Un des rhéophores du microcontrôleur est soudé à une piste qui se situe en plein milieu de sa surface. Je l’ai entourée avec un cercle vert. A quoi d’autre est-elle reliée ?
Réparation
D’après les mesures effectuées, le fil chauffant n’est ni coupé ni en cours circuit (j’ai oublié de noter la valeur de sa résistance) mais il n’est pas alimenté.
Lorsque la sonde du multimètre est positionnée à l’autre extrémité du thermofusible, je mesure bien une Vrms de 230 V. Le constat est simple et rapide, le thermofusible a cédé et il est ouvert.
J’en commande un lot chez E44 et j’effectue son remplacement au rdv suivant du collectif de réparation rezéen, celui de janvier.
Un des multimètres dispose d’une sonde de température.
La photo ci-dessous montre la yaourtière en état de marche avec une température stabilisée à 74° C au bout de 2 minutes de fonctionnement.
Sur la première photo, vous remarquerez que le thermofusible était serti au fil chauffant. Compte tenu des températures d’exercice il aurait pu être soudé à l’étain.
Hélas je n’ai pas trouvé de manchons à sertir. Je me contente d’une bricole réalisée avec un Faston. Je pense qu’il y a d’autres raisons qui feraient que cette yaourtière ne pourrait pas être certifiée par la NASA
Monique est désormais à l’aise avec la yaourtière et c’est elle qui la referme.
Le yahourt et comment il est obtenu
On peut compter autant d’appellations différentes que de jours dans l’année pour ce produit. Le nombre des recettes est encore plus nombreux compte tenu que chaque grand-mère insiste en disant que la sienne est la meilleure et donc différente !
La plupart des langues européennes déclinent une appellation qui dérive du Turc, yoğurt. Pour les autres langues, les appellations ne semblent pas être apparentées.
Le yahourt est le résultat d’une fermentation du lait par le développement de bactéries lactiques thermophiles.
En France, pour que le produit puisse avoir droit à cette appellation doit satisfaire plusieurs critères dont certains sont les suivants :
- Le lait doit être ensemencé par les deux bactéries suivantes : Lactobacillus delbrueckiibulgaricus et Streptococcus thermophilus
- Ces bactéries doivent se retrouver vivantes dans le produit consommé
Ces bactéries lactiques étant des organismes thermophiles, elles vivent et se multiplient à une température entre 50 et 70° C. A des températures plus élevées, elles meurent.
A des températures plus basses, elles peuvent croître mais très faiblement.
Sans vouloir démarrer un paragraphe de microbiologie de la fermentation, sujet sur lequel je n’ai pas de compétences, je synthétise ci-dessous ce que je retiens :
- La fermentation lactique c’est ce qui permet la gélification du lait.
- Ce procède opère grâce au développement de ces deux bactéries.
- Le temps de fermentation est drastiquement réduit grâce à l’action conjointe de ces deux bactéries.
- Ces bactéries peuvent être apportés comme additifs ou en utilisant une préparation de yahourt antérieure.
- Dans une yaourtière domestique il n’y a pas de gestion de la pression, le couvercle est juste posé.
- Il faut que le procédé se termine dans un temps « raisonnable ».
- Des contraintes de température nous obligent à des pirouettes dans la maitrise de l’environnement de fermentation.
Le graphique ci-dessous nous permet d’apprécier l’action due à la synergie des deux bactéries :
Les deux bactéries métabolisent le lactose (naturel ou ajouté) contenu dans le lait ce qui entraine une baisse du pH (acidification).
À temps de fermentation identique, l’acidité sera donc en fonction du type de lait utilisé et de la température d’exercice maintenue dans la cuve.
La synergie des deux bactéries permet la réalisation de cette fermentation dans un temps qui varie entre 4 à 5 heures alors qu’il aurait fallu 4 fois plus temps si on ne les avais pas utilisées.
Comment la température est maitrisée dans la yaourtière et ceci pendant un temps de 6 heures est l’objectif du prochain paragraphe.
Ingénierie inversée de la carte
L’objectif de la carte est d’alimenter pendant 6 heures le fil chauffant pour que ce dernier maintienne une température maitrisée.
Malheureusement je n’ai trouvé aucune datasheet de cette carte ni du microcontrôleur (TMS3513NS). Ce dernier semble n’avoir jamais existé.
Il s’agit très probablement d’un circuit imprimé réalisé sur commande client par Texas Instrument.
La deuxième ligne de sérigraphie indique 77 43 qui pourrait être une sorte de Batch/Lot. Par exemple la 43éme semaine de l’année 1977.
Il se peut que ce microcontrôleur ne soit rien d’autre qu’un simple circuit de temporisation.
Je remarque qu’il n’y a aucun transformateur et pourtant l’alimentation pour la logique de contrôle est bien réalisée d’une certaine manière. L’alimentation est probablement réalisée en utilisant un condensateur se reposant sur sa réactance capacitive.
Le klixon étant en série à la résistance, il n’intervient pas dans le calcul du temps. Il se limite à couper l’alimentation du fil chauffant si toutefois la température devait être trop élevée. Ce n’est pas pour autant que le temps sera rallongé. Cette remarque est importante. Si le klixon intervient trop souvent, d’une part il introduit un cycle d’hystérésis non souhaité et d’autre part le lait aurait été soumis à une température moyenne plus faible que celle nécessaire (car le temps n’augmente pas).
Avec ces suppositions et en observant les photos, recto et verso du PCB, j’essaie d’imaginer un schéma de principe:
J’ai eu un peu du mal dans sa réalisation avec KiCad car je suis au tout début de son utilisation. Les composants ne sont pas tous identifiés. Seulement ceux pour lesquels le câblage était certain sont présents.
Les pins 5 et 7 du microcontrôleur sont câblés quelque part mais je ne suis pas arrivé à une identification certaine.
Si l’alimentation est celle que j’ai supposée, elle ne doit pas être loin de celle que j’ai dessinée.
L’objectif est de créer une alimentation à basse tension en utilisant en entrée celle du secteur (en France 230 V et 50 Hz) et la stabiliser. Tout cela sans transformateur, ni pont redresseur et ni régulateur de tension.
Des calculs d’appuis à la lecture de l’image suivent.
Le principe repose sur la réactance capacitive d’un condensateur. Le condensateur vert pourrait servir à cela.
La réactance exprimée en ohms est égale à :
Où :
- ω est la pulsation (égale à 2 x Pi x Fréquence en Hertz)
- c est la capacité du condensateur en Farad.
Le condensateur vert étant d’une valeur de 0.68 µF, la formule nous donne ce qui suit :
Xc = 1 / (2 x 3.14 x 50 x 0.00000068 F) = 4 683 ohms
Si la tension de sortie est égale à 12 V, alors :
I = (230 V- 12 V) / 4 683 ohms = 47 mA
Supposons maintenant que l’alimentation soit contrainte, une panne par exemple, de se retrouver en court-circuit :
I = (230 V – 0 V) / 4 683 ohms = 49 mA
Voici un des grands avantages de ce type d’alimentation, une limitation de courant naturelle (seulement +2 mA) dans le cas d’un court-circuit.
La résistance en série au condensateur sert à limiter le pic de courant à la mise sous tension.
La diode Zener D1 fait office de régulateur de tension.
A sa droite j’ai désormais une onde qui ne contient que les crêtes positives. Pour obtenir une tension continue, j’ajoute un condensateur C2. Dans la carte de la yaourtière, c’est celui de 100 µF.
Lorsque l’alternance change de sens, le neutre est supérieur à la phase, le condensateur voudra se décharger. Il faut que j’isole la diode Zener et le condensateur C2 du courant secteur. Pour cela, j’ajoute la diode D2.
Au bout du condensateur C2 je dispose maintenant d’une tension continue et stabilisée.
Je ne suis pas absolument expert d’alimentations de ce type ni d’alimentations tout court. Donc si vous arrivez sur cet article, et vous avez entre les mains une yaourtière où vous pourriez effectuer les vérifications nécessaires, n’hésitez pas à corriger en utilisant le formulaire plus bas.
Concernant le µC, il contient peut-être un quartz à son intérieur ou peut-être qu’il englobe un détecteur de zero-crossing pour qu’il compte en utilisant la fréquence du réseau comme base.
Ce qui me fait penser que cette deuxième hypothèse soit réaliste c’est la présence d’une connexion du courant secteur, baissé en tension grâce à une résistance, sur le pin 4 du µC.
Le microcontrôleur pilote la gâchette du Triac par l’intermédiaire d’une résistance. Il aurait été intéressant de vérifier si cet asservissement s’effectue dans une logique simple d’ouvert/fermé ou au contraire avec un rapport cyclique convenable pour que la température se maintienne constante.
Dans le cas le plus simple, le µC n’aurait qu’à fermer le triac et le maintenir fermé jusqu’à expiration du temps.
Le thermofusible
C’est bien pour une pièce à 1€ et 3 grammes que nous en sommes arrivés là : le thermofusible qui ne fonctionnait plus.
Il s’agit d’un composant électronique passif. Lorsqu’il est opérationnel il conduit normalement avec une résistance proche de zéro.
Lorsque la température augmente et elle dépasse un seuil, il s’ouvre et il ne conduit plus. Celui présent dans cette carte était fait pour se désarmer à 91 °C.
Une page qui décrit le fonctionnement de ce composant est disponible à cette adresse :
http://www.thermalcutoff.com/en/document/gfile.php?fn=thermal-fuse-operation-principle
Conclusion
Cette réparation a été très rapide et simple.
Sur le plan technique, elle m’a apporté plusieurs choses. Tout d’abord elle m’a permis de m’intéresser au fonctionnement d’un thermofusible. En deuxième elle m’a confronté à un système d’alimentation à l’aide d’un condensateur, chose que je n’avais probablement pas encore rencontrée jusqu’à présent.
Le prix de la réparation a été celui du coût du thermofusible, 1 €.
Le coût d’une yaourtière moderne est d’environ 90 €.
Le diagnostic a été rapide grâce à la simplicité d’ouverture du produit ainsi qu’à la nature de la panne. Un réparateur professionnel aurait pu la réaliser dans un temps suffisamment court pour que la réparation reste intéressante. Le thermofusible est forcément un composant qu’il a en stock dans son atelier.
Nous avons évité un aller-retour à la déchetterie pour y déposer 2 kg.
Monique a pu repartir avec sa yaourtière dont elle maitrise désormais très bien son fonctionnement. Qui sait si un jour elle viendra au rdv mensuel pour nous faire gouter ses yahourts fait maison ?
Un post LinkedIn concernant cet article est accessible à cette adresse.
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Encore un article bien documenté d’un point de vue technique sur le fonctionnement de la yaourtière, mais aussi sur la transformation du lait en yaourt.
Félicitations Davide